Quatuor pour piano et cordes de Chausson

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Quatuor
pour piano et cordes
op. 30
Couverture de la partition
Couverture de la partition
originale pour piano et trio à cordes

Genre Quatuor avec piano
Nb. de mouvements 4
Musique Ernest Chausson
Durée approximative env. 38 minutes
Dates de composition juillet à septembre 1897
Dédicataire Auguste Pierret
Création
Bruxelles Drapeau de la Belgique Belgique
Versions successives

Le Quatuor pour piano et cordes en la majeur op. 30 est une œuvre d'Ernest Chausson pour piano et trio à cordes en quatre mouvements. Composé en 1897 et dédié au pianiste Auguste Pierret, il est créé le à la Société nationale de musique avec le dédicataire au piano.

Présentation[modifier | modifier le code]

Contrairement au caractère romantique du Concert op. 21, le quatuor est écrit dans un style direct et clair tendant vers le classicisme, avec une forme générale solide qui continue la démarche commencée un an plus tôt avec les Quelques danses pour piano. L'œuvre conserve des éléments de forme cyclique héritée de César Franck, déjà notée dans le Trio et le Concert. Ainsi Antoine Goléa note que « curieusement, il a été à la fois le plus franckiste et le plus libre des disciples de Franck[1] ».

Selon Paul Dukas, « la conquête graduelle qu'Ernest Chausson faisait de sa personnalité, et dont chacune de ses œuvres marque une étape eût assuré à son art l'originalité définitive d'un harmonieux équilibre entre la sereine expression du calme de sa vie et les douloureux accents que lui arrachait le spectacle d'un monde qu'il eût voulu heureux et magnifique[2] ». Il ajoute que, chez Chausson, « ces deux principes d'émotion, en conflit dans ses premiers ouvrages, tendent à se pénétrer dans ses derniers, et, en quelque sorte à se transfigurer l'un par l'autre comme dans son beau Quatuor pour piano et instruments à cordes qui demeure, selon moi, une de ses œuvres les plus grandes et les plus complètes[2] ».

Jean Gallois considère que le piano, en prêtant de solides harmonies aux œuvres de musique de chambre avec piano de Chausson, leur confère une « puissance quasi orchestrale que vivifie un langage éminemment personnel[3] ».

Contexte[modifier | modifier le code]

En Chausson rentre à Veyrier où sont sa femme et ses enfants depuis le . Il a fait pendant un mois, dans le but de faire jouer Le Roi Arthus, un périple par Aix-la-Chapelle, Cassel, Leipzig et Prague[4]. N'ayant obtenu de réponse positive qu'à Prague, où Henri Lerolle lui déconseille cependant de faire jouer son opéra[5], il est quelque peu désillusionné. Cependant il se met aussitôt à composer deux nouvelles œuvres, la Pièce pour violoncelle et piano qui portera le numéro d'opus 39, et le Quatuor pour piano et cordes. Depuis les deux œuvres géniales de Mozart, cette formation de musique de chambre avait été relativement peu explorée au début du XIXe siècle, mais revenait plus en vogue, notamment avec Fauré, Saint-Saëns, Lekeu, d'Indy. L'œuvre de Chausson se distingue par son allant et son énergie, soutenus par une architecture solide[6].

Dédicace[modifier | modifier le code]

Le quatuor avec piano est dédié à Auguste Pierret. Après une lecture de l'œuvre le à Bruxelles, dont Chausson exprime sa satisfaction dans une lettre à Henry Lerolle[7], c'est Auguste Pierret qui crée officiellement le quatuor en lors d'un concert de la Société nationale de musique avec Armand Parent au violon, Frédéric Denayer à l'alto et Charles Baretti au violoncelle, en même temps que le quatuor est joué à Liège par Juliette Folleville au piano avec des membres du quatuor Charlier[8].

Composition[modifier | modifier le code]

L'œuvre est commencée à Veyrier en , en même temps que la Pièce pour violoncelle et piano op. 39. Comme il l'écrit à Mathieu Crickboom le , Chausson commence par écrire le troisième mouvement, puis le second, terminé en août. Le 1er mouvement sera écrit en septembre et le finale en .

Structure[modifier | modifier le code]

  1. Animé à
    et
  2. Très calme à
  3. Simple et sans hâte à
  4. Finale : Animé à
    et

Durée d'exécution : trente huit minutes.

Analyse[modifier | modifier le code]

Selon Vincent d'Indy, l'œuvre, fortement architecturée autour d'éléments cycliques, écrite en la majeur, marque un point culminant dans l'œuvre de Chausson, où les doutes semblent avoir cédé la place à la confiance[9].

Animé[modifier | modifier le code]

Ce mouvement commence par un premier thème marqué et vigoureux, utilisant en majeur une succession présente dans le Choral de Prélude, Choral et Fugue de César Franck ou les cloches de Montsalvat de Parsifal[10], parenté dans laquelle, selon Ralph Scott Grover, on ne saurait voir une influence certaine de ces œuvres, étant donné la fréquence de ce type de succession[11].

Partition pour quatuor avec piano.
Ernest Chausson - Quatuor, op. 30 (1er mouvement, premières mesures)

Un second motif intervient dans le pont, joué par l'alto


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avant l'exposé du deuxième thème proprement dit, thème cyclique qui réapparaîtra dans le finale. Ce thème en ut majeur fait entendre un rythme berceur et se rapproche d'un thème retrouvé dans un projet inachevé, datant de 1896, d'un second Concert, pour hautbois et alto solo avec piano et quatuor à cordes[10], retrouvé dans les carnets d'esquisse de la Chanson perpétuelle[9].

Partition pour quatuor avec piano
Ernest Chausson - Quatuor, op. 30 (1er mouvement, deuxième thème)
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{{{description}}}

Après un développement très modulant la réexposition réintroduit les trois motifs principaux[12].

Très calme[modifier | modifier le code]

Le deuxième mouvement, de forme lied, expose une mélodie belle et triste (bien qu'en majeur, en ré bémol)[13], d'abord à l'alto puis reprise par le quatuor. La deuxième partie du lied mène, à partir d'une nouvelle phrase, à travers plusieurs modulations, à un développement passionné et dramatique, avant de conclure en ut dièse mineur (enharmonique de ré bémol).

Partition pour quatuor avec piano
Ernest Chausson - Quatuor, op. 30 (2e mouvement, premières mesures)
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Simple et sans hâte[modifier | modifier le code]

Le troisième mouvement, en mineur, est construit sur une phrase de quatre mesures évoquant une chanson traditionnelle[13]. Un développement modulant, sur une seconde idée ne contrastant pas avec la première, précède le retour du premier motif, en majeur cette fois[14]. Brigitte François-Sappey souligne, au sujet de ce mouvement, la « signature française assurément et passerelle avec les temps anciens, le renouveau après 1870 des indications de caractère en français. Quoi de plus délectable que le « Simple et sans hâte » du Quatuor avec piano de Chausson en écho au « Lentement, et très tendrement » du Rossignol en amour de Couperin[15] ? »

Partition pour quatuor avec piano
Ernest Chausson - Quatuor, op. 30 (3e mouvement, premières mesures)
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Finale : Animé[modifier | modifier le code]

À
, il commence par un mouvement perpétuel de doubles croches groupées alternativement par 2 ou par 6, donnant un rythme caractéristique ressemblant à celui de la Forlane des Quelques danses pour piano, composées un an plus tôt. Ce mouvement perpétuel est soutenu par des accords fortement scandés des cordes, puis les rôles s'inversent, avec de puissants accords au piano.

Partition pour quatuor avec piano
Ernest Chausson - Quatuor, op. 30 (4e mouvement, premières mesures)
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Apparaît ensuite une seconde idée dont Vincent d'Indy a montré qu'il s'agit du retour légèrement modifié du deuxième thème du premier mouvement[13]. Après un développement du premier thème apparaît un retour solennel de la mélodie du second mouvement[13] qui précède une réexposition se terminant par l'évocation triomphale des thèmes du premier et du second mouvement, et faisant de ce finale à la structure complexe une ingénieuse combinaison de forme sonate et de forme cyclique[16].

Postérité[modifier | modifier le code]

Le Quatuor est notamment joué en février 1920 à la salle Gaveau, par le Quatuor Leske, composé de Karel Hoffmann, Josef Suk, Jiří Herold (cs) et Hanuš Wihan[17]. L'œuvre est alors déjà considérée comme « solidement établi et de tenue si classique »[17]. L'auteur souligne d'ailleurs que Jiří Herold (cs) joue « avec beaucoup de mélodie » la partie d'alto qui ouvre le deuxième mouvement[17].

L'œuvre est très appréciée par les contemporains de Chausson. Dans une lettre du [18] Albéric Magnard écrit : « …l'œuvre me semble avoir foule d'idées et moins musique de chambre que le Concert, mais vous y avez certainement réalisé un immense progrès vers la simplicité de l'écriture, l'allongement des périodes mélodiques et la justesse des proportions ». Pour Gustave Samazeuilh, le Quatuor avec piano demeure « l'ouvrage le plus complet, le plus significatif de la personnalité du musicien, par le mélange de lyrisme intense et de sérénité sensible qu'on y rencontre[19] ».

L'œuvre sera ensuite quasiment oubliée avant qu'on ne lui accorde sa place dans l'évolution de la musique de chambre française, soulignée par Brigitte François-Sappey : « Taraudé par cette phrase de Schumann : « On n'est maître de la pensée que lorsqu'on est complètement maître de la forme », Ernest Chausson laisse quatre partitions de haut niveau, portées par une veine mélodique incomparable, dont le magnifique Quatuor avec piano (1897)[20] ». Pour Antoine Goléa, « dans ces œuvres, où la générosité de l'inspiration reste constante, où le romantisme fondamental est teinté, très à la française, et comme dans les œuvres majeures de Fauré, d'une ardente et large sensualité, le langage harmonique et le traitement de l'orchestre vont bien au delà de l'influence de Franck et de Wagner, annonçant fréquemment celui de Debussy. Il y a chez Chausson un frémissement très particulier, une sorte de permanence dans l'intensité qui n'en devient jamais lassante pour autant[21] ».

Discographie[modifier | modifier le code]

Références[modifier | modifier le code]

  1. Antoine Goléa 1977, p. 427.
  2. a et b Paul Dukas 1948, p. 596.
  3. Gallois 1994, p. 538.
  4. Jean Gallois 1994, p. 465.
  5. Jean Gallois 1994, p. 466.
  6. Jean Gallois 1994, p. 469.
  7. Ernest Chausson 1999, p. 459.
  8. Jean Gallois 1994, p. 493.
  9. a et b Cobbett 1999, p. 285.
  10. a et b Jean Gallois 1994, p. 470.
  11. Ralph Scott Grover 1980, p. 196.
  12. Jean Gallois 1994, p. 471.
  13. a b c et d Cobbett 1999, p. 286.
  14. Jean Gallois 1994, p. 472.
  15. Brigitte François-Sappey 2013, p. 18.
  16. Ralph Scott Grover 1980, p. 200.
  17. a b et c R. B., « Quatuor tchèque », Le Ménestrel,‎ , p. 60 (lire en ligne)
  18. Gallois 1994, p. 511.
  19. Gustave Samazeuilh 1924, p. 82.
  20. Brigitte François-Sappey 2013, p. 72
  21. Antoine Goléa 1977, p. 428.

Bibliographie[modifier | modifier le code]

Ouvrages généraux[modifier | modifier le code]

Monographies[modifier | modifier le code]

Articles[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]