Créoles de Louisiane

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Trois filles créoles, paroisse de Plaquemine, Louisiane (1935, photo de Ben Shahn).

L'expression créole de Louisiane fait habituellement référence aux populations créoles de Louisiane, aux États-Unis, et à ce qui y est associé.

Les Créoles de Louisiane font partie des Franco-Américains.

En Louisiane, l'identité créole peut tromper : elle n'a rien à voir avec la langue créole parlée par les anciens esclaves.

Définition[modifier | modifier le code]

L'artiste Adah Isaacs Menken, créole de couleur, fille d'un Noir libre et d'une métisse.

Pendant les colonisations française et espagnole des Amériques, l'usage de l'expression « créole », en tant qu'adjectif, était réservé uniquement aux gouvernements coloniaux. On appelait créole toute personne, produit ou animal né dans la colonie.

Au sens large donc, les Créoles sont les personnes nées dans la colonie par opposition au « vieux continent ». Si en principe le terme désigne autant les descendants des colons européens, que les esclaves africains qui ont été déportés[1],[2], à l'usage, il s'applique seulement aux Blancs pendant la période coloniale, les esclaves n'ayant aucun droit[3].

Pour les noirs et métis libres, c'est appellation gens de couleur libres qui s'applique jusqu'à l'abolition de l'esclavage en 1863. Ils deviennent ensuite les « Créoles de couleur », par opposition aux « Créoles blancs »[4].

Cette extension du terme sera critiquée par les penseurs créoles blancs Charles Gayarré et Alcée Fortier, tous deux descendants de colons esclavagistes, qui clameront que la créolité ne s'applique qu'aux personnes de descendance exclusivement européenne[5]. Cependant, le plus vieux manuscrit où on trouve le terme créole, en 1782, fait référence à un esclave[6].

Histoire[modifier | modifier le code]

L'histoire des Créoles de Louisiane commence avec la colonisation française et espagnole de la Louisiane. Toutefois, dans un premier temps, le peuplement est peu important. Il va en revanche doubler avec l'arrivée, entre 1791 et 1803, des réfugiés de Saint-Domingue. Cette ancienne colonie française (actuelle République d'Haïti), connaît un mouvement de révoltes d'esclaves si important qu'il aboutira à l'indépendance du pays en 1804. Au total ce sont 15 000 personnes, composées à parts égales d’esclaves, de gens de couleur libres et de blancs, qui vont s'installer en deux vagues principales en Louisiane[7].

Puis, en 1803, la vente de la colonie française de Louisiane provoque une division culturelle entre les Francophones de la colonie et les Américains venus administrer le nouveau territoire. Rapidement les deux populations de religions et de langues différentes vont s'opposer. Le premier gouverneur du territoire de Louisiane, William C. C. Claiborne, un Américain né dans le Tennessee, avait pour premier but d'assimiler la colonie française de Louisiane, ce qui provoqua l'opposition avec l'ancienne classe dirigeante francophone.

C'est à partir de ce moment que les anciens habitants de la Louisiane commencent à s'identifier en tant que Créoles pour se distinguer des Américains anglophones. À La Nouvelle-Orléans, la rue du Canal allait marquer la frontière linguistique, entre les quartiers de langues française/créole et anglaise. D'où le nom du célèbre Vieux carré français, où vivaient les Francophones de la ville.

Typologie[modifier | modifier le code]

Les créoles blancs[modifier | modifier le code]

Virginie Gautreau, connue comme « Madame X », une Créole de La Nouvelle-Orléans issue d'une famille de planteurs esclavagistes.

Même si le mot créole désigne tout individu né dans la colonie, il désigne plus spécifiquement les blancs dans un premier temps, les esclaves n'ayant aucun droit[3].

Les créoles blancs sont les personnes d'ascendance européenne nés dans les colonies. Ils sont souvent propriétaires de plantations.

Concept de créolité blanche[modifier | modifier le code]

Après la Guerre de Sécession, en accord avec la politique d'imposition et de classification raciale binaire imposée par les Américains anglophones, des intellectuels créoles comme Charles Gayarré et Alcée Fortier, descendant de colons esclavagistes, commencent à définir la créolité sur le critère exclusif d'une descendance européenne, en règle générale française ou espagnole[8]. Issus d'une société coloniale aux rapports très ethnicisés, les créoles blancs appartenant au monde des grandes plantations, refusaient alors d'être associés aux populations noires ou métis, de même qu'ils ne voulaient pas être confondus avec les Américains blanc anglophones ou provenant d'une immigration post-coloniale (par exemple Italiens) ou acadienne (p. ex. les Cadiens francophones). Ils figuraient alors une société à part aux traditions distinctes de la société nationale américaine. Les créoles blancs publient alors un grand nombre d'articles, de livres et de discours pour protéger leur pureté raciale. En témoigne la polémique menée par les créoles blancs autour de l'œuvre de George Washington Cable qui décrivait une société créole multiraciale dans ses romans et ses nouvelles. Dans son roman, The Grandissimes, il expose les préoccupations créoles vis-à-vis des liens de sang inévitables avec les Noirs et les mulâtres. Ce livre fit scandale, selon Virginia Dominguez[9] :

« Il y eut une véritable explosion de réactions en défense de l'ascendance créole. Le grand écrivain George Washington Cable engageait ses personnages dans une querelle de famille sur un héritage, empêtrés dans des unions sexuelles avec des Noirs et des mulâtres, et les décrivait particulièrement défensifs sur la présumée pureté de leur ascendance caucasienne, tandis que les créoles les plus revendicatifs répondaient en insistant sur le facteur de pureté de l'ascendance blanche comme un impératif pour s'identifier comme créole. »

Mais on ne peut toutefois ignorer les mariages ou le concubinage de créoles blancs avec des Noires libres ou esclaves ou encore des Amérindiennes, ainsi dès la période coloniale apparaissent les termes de « créoles de couleur » et « esclaves créoles ». Aujourd'hui on ne connaît pas le nombre de créoles français, cette identité s'est progressivement associée aux Cadiens, eux aussi d'ascendance européenne, et aux créoles de couleur, tous les trois possédant une même culture française et catholique. Historiquement les créoles français parlent le français de Louisiane.

Créoles de couleur[modifier | modifier le code]

Femmes créoles de la bourgeoisie louisianaise, peinture d'Édouard Marquis.

C'est l'essor des gens de couleur libres (métis ou noirs affranchis et libres de naissance), qui étendra l'usage du mot créole au non-blancs.

Les gens de couleur libres[modifier | modifier le code]

Creole Boy with a Moth par Julien Hudson, 1835.

Sous administration française et espagnole de la Louisiane, la loi coloniale reconnaissait trois rangs de la société louisianaise : Blancs, gens de couleur libres et esclaves, ce qui n'existait pas en Nouvelle-Angleterre mais correspond au modèle colonial latino-américain et des Caraïbes. Cette distinction raciale strictement établie (le Code noir ne permet pas le mariage entre blancs et noirs) permit pourtant le développement d'un métissage en particulier entre Blancs et esclaves, outre des relations extra-conjugales, le système de plaçage va institutionnaliser ce genre de pratiques. Le plaçage est en effet un système extra-légal reconnu par la société louisianaise à l'époque de la Louisiane française et jusqu'à la vente de la Louisiane aux États-Unis en 1803. Il consistait à « placer » une femme (maîtresse ou amante) noire ou mulâtre dans une des résidences d'un maître blanc. S'agissant d'un système de concubinage, indépendant du mariage mais toléré pour pallier la pénurie de femmes blanches, le plaçage contribua largement au métissage de la population. Avec le temps, les enfants métissés nés de ces unions furent le plus souvent émancipés et leur mère affranchie par la même occasion. Cette génération put également prendre le patronyme paternel. Les historiens évaluent à plus de 1 500 femmes de couleur vivant sous le régime du plaçage.

Portrait de Betsy par François Fleischbein, 1837. Le jeune femme est coiffée du traditionnel tignon.

À la mort de son protecteur et amant, la femme « placée » et les enfants nés de leur union, pouvaient prétendre jusqu'à un tiers des biens de l'homme blanc. Certains maîtres désignant leurs enfants métis comme héritiers prioritaires par rapport à leurs autres descendants blancs ou à leur conjoint officiel. Un certain nombre de femmes placées purent ainsi ouvrir un commerce et leurs enfants devinrent parfois des hommes d'affaires, entrepreneurs et même hommes politiques. Il se constitua ainsi une bourgeoisie créole au cours du XIXe siècle. De plus il s'agissait d'une manière efficace pour devenir libre et sortir de la condition d'esclave, ce qui permit d'assurer une certaine mobilité sociale et pour les anciens esclaves d'acquérir la culture française.

Cette particularité permit l'émergence d'une nouvelle identité dans la colonie, celle des gens de couleur libres. Après la guerre de Sécession, avec la victoire de l'Union, l'homme de couleur libre crut son identité menacée par la suppression de l'esclavage, qui le plaçait dans la même catégorie que les anciens esclaves. Comme les Blancs, quelque quarante ans plus tôt, l'ancien homme de couleur libre revendiqua l'appartenance au groupe des Créoles pour faire la distinction avec l'ancien esclave.

Les esclaves créoles[modifier | modifier le code]

Paroisses créolophones de Louisiane

Les esclaves francophones ont cherché à se constituer une identité catholique et créolophone. Ils ont ainsi intégré la culture française transmise par les métis avec des éléments de culture noire haïtienne, espagnole et amérindienne. La langue créole est le résultat de ce métissage. Mais cette distinction s'est estompée avec le Mouvement des droits civiques et le Mouvement de fierté noire dans les années 1960, où le Noir devait alors choisir entre une identité créole et l'assimilation à la communauté des Noirs anglophones beaucoup plus influente.

L'identité noire-créole est toujours présente aujourd'hui surtout avec l'usage du créole louisianais (Kréyol La Lwizyàn) parlé par 70 000 personnes particulièrement en Louisiane dans les paroisses de Saint-Martin, Saint-Landry, Jefferson et Lafayette. Il existe des communautés importantes dans l'Illinois et une petite communauté dans le Texas de l'Est. La communauté la plus importante se trouve sans aucun doute en Californie, surtout dans le Nord.

Personnalités connues ou historiques[modifier | modifier le code]

Dans la culture populaire[modifier | modifier le code]

La chanson The Fat Man dont les paroles évoquent les femmes créoles au carrefour de Rampart Street et Canal Street, point de rencontre du quartier noir et du quartier blanc.

Références[modifier | modifier le code]

  1. Kathe Managan, « The Term "Creole" in Louisiana: An Introduction »(Archive.orgWikiwixArchive.isGoogleQue faire ?), lameca.org, consulté le 5 décembre 2013
  2. Bernard, Shane K, « "Creoles" »(Archive.orgWikiwixArchive.isGoogleQue faire ?), "KnowLA Encyclopedia of Louisiana", consulté le 19 octobre 2011
  3. a et b (en) Creoles - Shane K. Bernard, KnowLA Encyclopedia of Louisiana, 30 mars 2010
  4. James L. Cowan, « Les Créoles de couleur néo-orléanais et leur identité littéraire », Francophonies d'Amérique, Les Presses de l'Université d'Ottawa,‎ , p. 119-130 (lire en ligne).
  5. (en) Sybil Kein, Creole: The History and Legacy of Louisiana's Free People of Color, LSU Press, (ISBN 978-0-8071-4243-1, lire en ligne), p. 131
  6. Kein, Sybil. Creole: the history and legacy of Louisiana's free people of color. Louisiana State University Press, 2009, p. 73.
  7. Nathalie Dessens, « Du Sud à la Caraïbe : La Nouvelle-Orléans, ville créole », E-rea. Revue électronique d’études sur le monde anglophone, no 14.1,‎ (ISSN 1638-1718, DOI 10.4000/erea.5216, lire en ligne)
  8. Sybil Kein, Creole: The History and Legacy of Louisiana's Free People of Color, Louisiana State University Press, 2009 (ISBN 978-0-8071-2601-1)
  9. (en) Sybil Kein, Creole: The History and Legacy of Louisiana's Free People of Color, LSU Press, (ISBN 978-0-8071-4243-1, lire en ligne), p. 189

Voir aussi[modifier | modifier le code]